EXTRAITS DE " 29 jours de lune "

de Philippe Vintejoux

 

Vous pouvez vous le procurer sur son site web : http://monsite.wanadoo.fr/philvinte/index.jhtml

 

 

Extrait : début du chapitre 1.

Petite, on lui avait dit tellement de choses...

Par exemple, qu'une fille ne doit cesser de l'être que pour devenir mère.

Lorsque le sang lui était venu, elle avait été inquiète, puis surprise, enfin rassurée, bientôt émerveillée.

Cette nuit-là, un frôlement d'ailes l'avait réveillée. Elle avait cru voir un ange dans son sommeil. Autour d'elle bruissaient encore des ailes diaphanes. Elle se leva nimbée d'une lumière irréelle.

Elle tira les rideaux de son balcon. la pleine lune luisait de toute sa blancheur. Une ineffable douceur emplissait l'univers.

A sept ans une vieille femme errant dans ce village, les yeux déments,les cheveux en désordre et la peau flasque sur ses joues ravagées lui avait agrippé le bras et d'une voix éraillée lui avait répété:

 «Ne regarde jamais la pleine lune. Les luniens sont des loups et ils te rendront folle».

Elle se prit à sourire et contempla l'astre de nuit qui se baignait dans l'eau et lui parlait à chaque souffle du vent sur l'onde calme du lac à ses pieds.

 

Elle ne savait pourquoi mais pensa simplement que des milliers d'hommes devaient chercher un peu d'apaisement dans cette perfection. L'astre lui parut vivant et plein de la promesse de sa propre vie. Immobile dans le ciel comme la présence de son avenir; elle eut la certitude qu'elle devrait tout au long des années se confier à la lune et interpréter ses ombres et ses brillances. Frémissant et espiègle, son reflet dans l'eau noire éclairée s'approcha du disque lunaire. Elle sut que cette image promettait le bonheur.

 

Elle fixa encore plus  la surface de l'eau: les ombres portées  le disputaient aux reflets d'argent. Rassérénée, elle avait compris que sa terreur de la petite enfance avait disparu.

 

Elle se coucha à même le sol, couvrit son sexe d'une main comme une coquille, et posa l'autre sur sa poitrine. Son coeur battait paisiblement. Au-dessus d’elle, très haut dans le ciel,la surface de la lune était virginale.

Son rêve la reprit, et un sourire divin s'installa sur ses lèvres, caressées par la lueur de la lune qui poursuivait son chemin. 

Extrait du chapitre 3 .     

Trois hommes l’attendaient sur la place. Fourbu, les jambes encore gonflées du sable, les yeux rouges, il se redressa pourtant, et une lueur farouche enflamma son regard. Chacun des hommes portaient un vêtement traditionnel. Celui de gauche avait revêtu les insignes de la chasse et de la guerre; autour de ses poignets, de ses chevilles et de son cou, des bracelets et un collier de dents d’animaux sauvages ; sur son pagne et autour de ses biceps, des plumes et des lanières de cuir ; dans sa main une longue lance ; l’homme était enduit de terre rouge et il semblait redoutable et terrible. A droite, le second portait les mêmes ornements, mais sa parure ne comptait aucun élément animal menaçant, et les quelques pièces de tissu sur son corps étaient blanches ; dans sa main il tenait une calebasse ; aucun maquillage ne colorait sa peau brun clair ; il souriait. Au centre le dernier était habillé d’une tunique bleu pâle ; alors que les deux premiers étaient pieds nus il était chaussé de sandales; un long collier de grains bleu nuit lui entourait le cou et le torse jusqu’au ventre ; il s’appuyait sur un long bâton de bois sombre ; ses yeux semblaient fixer l’horizon au-delà des grands arbres.

Le premier apostropha le nouvel homme sans bouger : « Tu dois maintenant tuer des ennemis !

Autour de notre village les étrangers se multiplient. Ils veulent violer nos femmes et se débarrasser de nous pour s’emparer du cours d’eau. Si tu es un homme, prends cette lance et va immoler un de ces barbares, dès cette nuit !si tu ne le fais pas, tu es de la race des esclaves ! »

Le second avança de quelques pas : « Seule la terre compte… Tu dois apprendre à la cultiver comme nos ancêtres. Mais les étrangers apportent des machines et savent faire pousser les légumes même dans le désert. Ils disent qu’ils admirent notre façon de respecter la nature et qu’ils veulent aussi apprendre de nous. Si tu es un homme, prends cette calebasse et suis-moi dans les champs. »

Le troisième balaya l’air de son bâton et se dirigea vers l’arche de bambou à la sortie du village. Sans s’arrêter,il se mit à chanter : « Si un homme croit qu’il sait parce qu’il a été initié, il ne sait rien .Si un homme pense qu’il a droit de prendre une femme parce qu’il a résisté aux fourmis, il se trompe. Si un homme devine qu’il ne doit jamais s’arrêter de marcher dans sa vie, il sera un homme. »

Tous les villageois étaient sortis sans bruit de leurs maisons. Même les oiseaux faisaient silence Le soleil semblait avoir suspendu sa course dans le ciel et faisait vibrer le village et les êtres dans un mirage.

Le jeune homme se plongea dans l’eau du réservoir. Il alla embrasser sa mère et franchit l’arche de l’entrée du village. Devant lui l’homme bleu entrait dans la forêt.  

   

Extrait du chapitre 7.  

Un bruit léger se fit entendre. A quelques mètres derrière elle, un homme était assis. Il avait dû la regarder dormir, peut-être protéger son sommeil.

« Est-ce vous qui m’avez sauvée ? »

Il lui sourit .

« Qui êtes-vous ? Pourquoi ? »

L’homme ne répondit pas, se leva et tourna son visage vers le ciel nocturne. C’était un homme sans âge, aux traits fins, au large front. Dans ce seul mouvement il dégagea une impression de douceur et de fermeté bienveillantes Il était enveloppé d’une de ces houppelandes que portent les bergers dans les montagnes et les plaines de tous les pays du monde. Mais son vêtement était d’un bleu pâle qu’elle n’avait jamais vu.  

Elle suivit son regard et attendit. 

En quelques minutes, un énorme quartier de lune mit en déroute l’orage. Il s’imposait insolemment, roi du ciel sans personne pour entraver son pouvoir. Les marques sombres à sa surface attestaient encore davantage sa force paisible. Elles ressemblaient à deux bras invisibles qui écartaient le rideau d’une scène.      

L’homme lui tournait déjà le dos et avait fait quelques pas. Il s’arrêta le temps de lui laisser ces quelques phrases:

«Adieu. Tu ne m’oublieras pas Ni la vie que je t’ai rendue. Celui que tu dois rencontrer te parlera de moi, sans même le savoir. Il m’appellera l’homme bleu Aie confiance La lune ne te laissera plus jamais seule. »

Il s’enfonça dans la nuit. Au plus profond d’elle, une paix s’était installée.

 

Philippe Vintejoux

 

 Vous pouvez vous procurer le roman en entier sur son site web : http://monsite.wanadoo.fr/philvinte/index.jhtml