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La Lune
a toujours été la petite qu'on se plaisait à moquer car sa mère Saturne,
aristocrate parée de bijoux, n'avait de cœur que pour ses deux autres enfants.
Mercure d'abord, un curieux personnage, silencieux
et effacé, attentif au moindre son, au plus petit détail. Jupiter
ensuite, une horrible peste égoïste qui ne rêvait que de royales réceptions.
Oui, depuis la nuit des temps, la Lune était
la risée du Mobile.
Le Mobile,
nom donné par les premiers peuples des étoiles à l'ensemble des planètes
du système solaire.
En son
centre, le Soleil, aveugle, veille placidement à
ce que tout soit dans l'ordre. Sous son regard flamboyant, rien ne pouvait faire
changer l'ordre des choses. Rien, car le Mobile
est éternel.
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Mais il y
eut l'incident Vénus et le sommeil de la Lune,
et les choses empirèrent.
C'est une
vieille histoire. Mars, père affectueux de Mercure
et de Jupiter, époux silencieux de Saturne,
était alors un politicien de haut rang, qui se déplaçait de nébuleuse en nébuleuse
pour tisser les liens diplomatiques devant unir le cosmos en un tout gracieux.
Ses absences répétées l'éloignaient, peut-être malgré lui, de ce qui
pouvait arriver à sa benjamine, la petite Lune,
écrasée par son frère et sa soeur. Mercure et Jupiter, parsemés de couleurs scintillantes
et de merveilleuses constellations, paradaient dans les carnavals étoilés, maïs
la Lune se drapait dans le gris déchu d'une
robe minérale.
Pourtant,
pendant tous ces millénaires passés à subir le joug de sa famille, la Lune
avait nourri un amour secret et impossible pour Pluton,
l'orphelin du cosmos devenu prince, son demi-frère, adopté par Saturne.
Elle l'admirait pour son indépendance et sa surface grise, presque invisible.
Mais, en amour, la Lune n'avait pas plus de
chance : depuis son arrivée dans le Mobile, Pluton
était promis à Jupiter, qui multipliait
les ruses pour le charmer et offrir à sa mère un fastueux mariage.
Tout ceci, le
peuple des étoiles ne le savait pas. Le peuple des étoiles, ces petites
choses qui s'agitent à la surface des astres en applaudissant, et reconnaissent
leur planète comme unique divinité protectrice. Des ponts de cristaux jetés
entre les planètes, des tours majestueuses dressées vers les cieux, de longs
habits aux motifs multicolores et de magnifiques animaux aux fourrures
ondulantes... Un monde agité, que le système solaire avait laissé naître et
s'épanouir des millénaires durant, en une immense civilisation sans égale
dans la galaxie.
Ainsi les Sélénites,
qui arpentaient douloureusement le sol poussiéreux de la Lune,
vivaient-ils dans la crainte et l'oppression, utilisés par les Mercuriaux et
les Jupitériens comme serviteurs dociles, ou esclaves dans les mines de
fromage.
Si Pluton
s'était décidé à épouser la Lune, peut-être
que tout aurait pu être différent. Mais, incapable d'attirer l'attention de
celui qu'elle aimait, la Lune devenait
chaque jour plus triste. Elle aurait fait n'importe quoi pour se faire
remarquer, s'affirmer au sein d'une famille ingrate.
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Or, par un beau matin étoilé,
Halley, une comète magicienne qui
passait régulièrement dans le système solaire pour amuser le peuple des étoiles,
décida, par pure provocation, de monter sa foire sur la Lune.
Les Sélénites, d'ordinaire bafoués et raillés, purent s'y rendre pour la
première fois et découvrir les sublimes spectacles d'une fantasmagorie
cosmique défiant l'imagination.
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Alors que
la fête battait son plein et que les soucis s'envolaient, la Lune
fit parvenir un message à Halley, l'invitant
à venir la retrouver le soir dans une de ses cavernes, où elle avait
l'habitude de s'incarner. À travers la pierre des parois, la Lune
parla de son amour pour Pluton, de son désespoir.
Et la comète, qui aimait profiter des situations les plus inhabituelles, eut
une idée : elle connaissait un charme qui, disait-elle, pourrait rendre la Lune
plus belle et plus grosse que les autres. Mais Halley
ignorait les effets secondaires de l'enchantement. Qui savait ce qui
pouvait se passer ? Prête à tout, la Lune n'hésita
pas. La comète invoqua donc le nom profond du Cosmos et consacra la surface
lunaire avec une poudre de météorite laiteux. Puis, son office achevé, Halley
décolla pour un nouveau périple dans l'univers, emportant avec elle les rires
et les mains tendues des Sélénites.
Grâce au
charme de la comète, la petite Lune, aux
roches fracturées et aux déserts poussiéreux, se métamorphosa en somptueuse
planète verte, pleine de vie, de beauté.
Elle s'élança
vers Pluton pour lui déclarer son amour.
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Malheur !
Impatiente, la Lune acheva sa transformation,
se brisa et se dédoubla :
d'un côté, un astre sublime, qui rayonnait de sagesse et de gentillesse ; de
l'autre, la pauvre petite Lune, emmitouflée
dans son éternelle défroque aride. Croyant que la Lune
était venue lui présenter une nouvelle orpheline du système solaire, Pluton
ignora sa grise demi-soeur et se tourna vers la belle étrangère verdoyante. Ils
tombèrent amoureux et ne se quittèrent plus.
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Après de
longues discussions, Mars décida que la
nouvelle planète s'appellerait Vénus et
qu'elle partagerait l'existence de Pluton.
Ils se marièrent dans un extraordinaire festival de cotillons. La Lune
était accablée et Jupiter, furieuse de la dérobade
de Pluton, la tint pour responsable de son
malheur. Frappée et humiliée, la Lune
tomba dans un profond coma dont elle ne sortit jamais plus.
Mais
l'histoire ne s'arrête pas là.
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Elle
continue, car Mars décida que le coma de la Lune
était une tragédie pour les Sélénites. Dans un grand élan de générosité,
Mars libéra tous les esclaves. Mais sans la
conscience de la Lune, sans sa présence
divine, les Sélénites se retrouvaient désormais victimes des lois de la
physique, des changements du temps. A force
de travail et de sacrifices, les Sélénites firent de la Lune
un astre paisible, où les souvenirs douloureux devinrent les clés d'une
douceur de vivre contemplative. Mais ça ne devait pas durer.
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Pendant
son coma, la Lune commença à rêver,
ce qui était bien surprenant car, pour le Mobile,
les rêves n'existaient pas, faute de sommeil. Aucune planète n'ayant
jamais rêvé, ces songes lunaires complexes et décalés furent si forts qu'ils
devinrent réalité. À la surface de la Lune,
les Sélénites firent face à un fléau qu'ils n'avaient jamais connu : de
fantastiques créatures sortaient des entrailles de la planète, des châteaux
se construisaient en une nuit, des géants ravageaient les routes, des histoires
absurdes gangrenaient les esprits. La vie devint bientôt impossible et
les Sélénites, isolés sur une planète endormie, coupés du reste du
Mobile, ne purent appeler à l'aide. Les rêves ravageaient tout sur leur
passage et déséquilibraient le fragile équilibre que les Sélénites avaient
eu tant de mal à construire. C'est alors que le Grand Savant fit son
apparition, un Sélénite sage et bon vers lequel, souvent, le peuple se
tournait.
Le Grand Savant organisa une grande réunion et confia à ses, frères qu'il
avait trouvé l'idée pour éliminer la menace : il allait inventer une
machine capable de lire dans les pensées de la Lune,
une machine qui décoderait ses rêves et les renverrait en utilisant les rayons
solaires, loin dans l'espace. Son projet fut acclamé et la machine fut mise en
chantier pour, un beau jour, être inaugurée. L'un après l'autre, les rêves
lunaires se volatilisèrent et s'enfuirent en poussière argentée sur les
rayons solaires. La population était triomphante, le peuple était sauvé.
La voûte céleste pétilla.
La
machine fut mise en programmation perpétuelle, laissée dans un grand
sanctuaire et oubliée comme une tradition. Mais les rêves ne furent pas envoyés
dans le néant.
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Ils furent stoppés dans leur chute par un petit astre
innocent, que personne ne connaissait vraiment : la Terre.
Considérée comme une attardée mentale née d'une ceinture d'astéroïdes, la Terre
avait été mise au ban de la société stellaire et éloignée des intrigues du
pouvoir. Quand les rêves lunaires débarquèrent sur Terre,
l'humanité était dans son âge homérique. |
Les
créatures orphiques
envahirent les côtes de la Grèce antique, les harpies déchirèrent la chair
des hoplites. Des géants magnifiques s'installèrent au sommet du mont Olympe
et dictèrent leurs commandements. Des monstres gigantesques sortirent des
flots : sans entraves pour freiner leur prolifération. Les rêves lunaires
prirent possession de ce nouveau territoire et le plièrent à leur volonté.
Le
destin de l'homme était désormais intimement lié
à celui de la Lune.
Car tous ces monstres n 'existent plus de nos jours. Que sont-ils devenus ?
Pourquoi auraient-ils disparu de la Terre
sans rien dire ? La réponse est bien simple. Les habitants de la Terre
savent rêver et ils ont, au cours de leur histoire, progressivement absorbé
les rayons lunaires. Les humains, les plantes, les montagnes,
la mer, les animaux... tous. La Lune
est en eux. Elle s'est collée à leurs gènes, à leurs cycles naturels. Elle
est dans leurs rêves. Et qui a dit que les montagnes ne rêvaient pas ?
Elles n'ont pas de cordes vocales, comment pourraient-elles l'exprimer ?
Les
habitants de la Terre sont donc condamnés si
la Lune meurt un jour.
Si
la Lune ne leur avait pas envoyé ses rayons,
ils seraient des êtres sans rêves, sans espoir, sans merveilleux. Sans les
rayons lunaires, ils ne peuvent rêver.
C'est
ainsi.
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